Épisode 30/30

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Les deux flics qui étaient à proximité arrivèrent. SAS leur expliqua. Ils acceptèrent de téléphoner à la Sûreté turque. Dix minutes plus tard, le colonel Karakoç était là.

Mais on eut beau fouiller le Russe plusieurs fois, on ne trouva aucun papier qui aurait pu confirmer son nom et sa nationalité. Plus tard, personne ne réclama son corps et le consulat russe, interrogé, déclara qu’il n’était pas un de leurs ressortissants. On n’avait rien trouvé au domicile de Dmitri Dmitriev, pas plus que chez ses deux hommes de main. La Fiat 1100 était bien équipée d’un émetteur-récepteur, mais c’était une radio de marque américaine.

 

Ada s’était éclipsé avec Niklas.

— Je vais soigner moi-même votre nez, proposa-t-elle. Et je pourrai enfin vous faire la cour !

Il rit. Toutes ces aventures lui avaient fait complètement oublier le pourquoi de sa mauvaise humeur initiale. De retour à l’hôtel, ils montèrent directement à la chambre d’Ada « qui avait tout ce qu’il fallait pour le soigner ». Il ouvrit la porte et s’effaça galamment pour la laisser entrer… et s’exclama un « je ne le crois pas » choqué, fit volte-face et gifla Ada, avant des disparaître dans le couloir.

Étourdie par le coup, elle jeta un œil dans la pièce et soupira : Sifiye, nu, hormis son queue-de-pie de scène, dansait le cha-cha-cha au son de la radio.

Istanbul -1965

24.

Istanbul, Turquie
Fin d’après-midi du lundi 2 août 1965

La mission ‘Memphis’ était terminée. SAS avait réussi à trouver les coupables et se réjouissait maintenant de quitter la Turquie. Elle avait hâte de rendre visite aux travaux de son château avant de rentrer sur Poughkeepsie.

Ne restait plus qu’à participer à la traditionnelle réception qui ponctuait toute réussite de mission et qui était planifiée au lendemain chez le consul Thompson.

En fin d’après-midi SAS avait négocié avec le consul des États-Unis les questions épineuses que soulevait un départ, et une entrée, officiels de Durukan Yavuz. Les Turcs ne demandaient pas mieux que de s’en débarrasser, mais les services d’immigration de Staten Island seraient tombés à la renverse si on leur avait montré l’entièreté de son curriculum vitae. Le consul avait dû rédiger une chaude lettre de recommandation, jurant que le Turc était à son service depuis trois ans et méritait, par son sens civique et son anticommunisme viscéral, de devenir citoyen américain.

Le soir elle alla assister, pour la première fois, au spectacle de magie d’El Sihir. Sifiye se surpassait la sachant dans les spectateurs, elle put déceler quelques trucs mais d’autres restèrent dans les secrets du prestidigitateur. En rentrant, ils firent l’amour longtemps, comme si c’était la dernière fois.

***

Istanbul, Turquie
Fin de matinée du mardi 3 août 1965

SAS rejoignit les J&Bs et Yavuz qui patientaient dans les fauteuils du lobby de l’Hôtel. Pour cette dernière journée, Yavuz, rebranché à son mode touristique, avait proposé un tour absolument unique des plus beaux coins d’Istanbul, et leur avait promis de marchander des objets artisanaux pour eux. Il avait aussi proposé de manger au meilleur restaurant traditionnel de la ville, qu’aucun étranger ne pouvaient connaitre car il fallait être invité par un autochtone…

Les J&Bs s’interrogeaient sur quels types de souvenirs ils auraient pu rapporter d’Istanbul. Après une mission d’importance, les agents de la CIA pouvaient rentrer au pays pour une pause de quelques jours. Les familles attendaient ce retour avec impatience. Ils choisirent des babouches brodées pour les femmes et des pipes en écume pour les hommes.

 

La réception chez le consul Robert L. Thompson accueillait les deux membres les plus représentatifs liés à cette mission : l’amiral Cooper, dans un uniforme blanc flambant neuf, pour la partie américaine et le chef des Services Spéciaux turcs, Ugur Karakoç, LE colonel qui s’était occupé de l’affaire Memphis. A l’écouter, les Turcs avaient réussi tous seuls à détruire toute l’organisation d’espionnage soviétique dans leur pays. Une poignée d’autres colonels turcs avaient été également délégués pour faire bonne figure, au moins en nombre.

S’il avait osé, le consul aurait bien invité son collègue russe, afin de le contrarier très officiellement.

Son Altesse Sérénissime Adelaïde von Schönenwald-Ottingen, était vêtue d’une splendide robe de cocktail de couleur verte, ses cheveux roux étaient relevés en un énorme chignon bouffant, et elle arborait de somptueux bijoux prêtés par la bijouterie Galatan. Seule femme invitée, le silence se fit lorsqu’elle entra dans le grand salon.

Pourtant, depuis son arrivée elle n’avait pas desserré les dents. Ses yeux dorés étaient presque verts. Une allusion de Jones à son tout proche voyage en Autriche ne lui avait même pas arraché un sourire. Quelque chose, visiblement, n’allait pas.

Thompson fit tinter son verre pour indiquer qu’il allait commencer à parler. Ada écouta avec agacement le bourdonnement du consul qui la félicitait de son doigté, de sa délicatesse et de sa diplomatie…

Distribution de petits fours et coupes de champagne.

L’Amiral Cooper s’approcha d’Ada.

— Encore bravo, SAS. Je ne pense pas que les Russes recommencent jamais…

— Ils tenteront autre chose.

— Peut-être, mais vous leur avez porté un coup sévère.

Elle planta ses yeux d’or dans ceux de l’amiral.

— Puisque vous êtes si content de moi, Amiral, si je faisais quelque chose de très mal, vous me couvririez ?

L’amiral rit.

— De très mal ? Vous voulez vous mettre à faire la danse du ventre ?

— Non Amiral.

Ada ne riait ni ne souriait. Cooper s’assombrit.

— C’est quelque chose de sérieux…

— Oui !

— Ce n’est rien de… déshonorant pour les États-Unis j’espère ?

— Non. Seulement cela peut gêner dans les entournures.

— Vous me faites peur SAS…

— Ne vous inquiétez pas, je ne vais tuer personne !

— Vous allez la faire ici cette chose de très mal ?

— Oui !

Cooper fit des yeux le tour de la pièce, et en conclu qu’il n’y avait personne ici qui pouvait subir un dommage à la hauteur d’une déclaration de guerre.

— Oh-kay, dit-il, hésitant, puis avec plus d’assurance : pour moi, vous êtes la personne qui a vengé le Memphis. Si vous souhaitez faire quelque chose, même de très mal comme vous l’affirmez, je pense que vous en avez pesé le pour et le contre ! J’ai entièrement confiance en vous !

Ada s’inclina légèrement.

— Je vous remercie, Amiral.

Elle se dirigea alors vers le colonel Karakoç qui bavardait avec le consul.

— Colonel, je voudrais vous parler.

Elle avait volontairement élevé la voix. Les conversations s’arrêtèrent et toutes les têtes se tournèrent dans leur direction. Flatté, l’officier turc se redressa et tira sur son dolman, s’attendant probablement à une pluie de remerciements. Mais pour qui connaissait SAS, la couleur de ses yeux trahissait sa colère intérieure.

— Colonel, j’ai un message pour vous. De quelqu’un qui ne peut le faire lui-même.

Un peu surpris Karakoç répondit :

— Mais, je vous en prie, ma chère.

Personne ne vit partir la main d’Ada. La première gifle claqua sur la joue du Turc comme une serviette mouillée. La seconde, en revenant, imprima sur sa joue gauche la même marque rouge. Pour être honnête, le colonel avait de bons réflexes et l’écho de la seconde gifle ne s’était pas encore éteint qu’il avait déjà décroché la petite bande de cuir qui retenait le pistolet à sa ceinture.

 Le geste du colonel fut interrompu et sa main resta sur la crosse de son arme : deux extrémités de canons lui obstruait la vue. Les colts de Jones et de Brabeck visaient la tête du colonel à bout presque touchant. Il leur avait fallu deux secondes pour traverser toute la pièce. De vrais missiles.

— On se le paie ? proposa aimablement Jones.

Il y eut du remous parmi les Turcs. Jones fit décrire un arc de cercle à son colt et annonça paisiblement :

— Le premier qui fait semblant de se gratter est mort.

Dite sérieusement, c’est une phrase qui calme.

Le consul, lui, frisait l’apoplexie. Il se précipita sur Ada.

— Vous êtes folle ! Cet officier est un des meilleurs de l’armée turque.

— Peut-être, et pourtant c’est une ordure.

Thompson sursauta sous l’ampleur du mot employé.

— Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ? C’est un allié, et, qui plus est, un ami.

— Et pourtant… Vous vous souvenez de Beyazit ? dit-elle assez fort pour que toute l’assemblée entende.

— Le lieutenant traître ? Oui… Et ?

— Il avait un frère. Emprisonné et condamné à mort par le gouvernement turc. Le lieutenant Beyazit a accepté de nous aider à une condition : que son frère soit libéré. Le colonel Karakoç ici présent, en avait pris l’engagement. Moi-même, j’avais donné ma parole d’honneur.

— Eh bien, je suis sûr que le colonel a fait le nécessaire.

Un consul est, par essence, diplomate.

— D’une certaine façon, oui. Le frère de Beyazit a été fusillé ce matin ! ajouta-t-elle pleine de mépris.

Thompson pâlit. Karakoç, qui n’avait pas dit un mot jusque-là, parla d’une voix étranglée :

— Je n’ai pas pu faire autrement… La sécurité du pays l’exigeait.

Pour tout dire, le colonel Karakoç était un nettoyeur pathologique, et il faisait éliminer des gens pour bien moins que cela. Elle avait de la chance que cela se passait ici, chez l’ambassadeur, car elle y passerait pour cet affront inouï. Il ajouta en se redressant :

— Je réclame à cette Altesse Sérénissime des excuses immédiates ou j’en référerai à mon gouvernement.

Le canon de Brabeck se rapprocha de son visage.

À ce moment, l’amiral Cooper se pencha à l’oreille du colonel.

— Partez, lui siffla-t-il. J’approuve entièrement le geste de Son Altesse Sérénissime. Vous êtes un homme sans honneur. Et je vous autorise à citer mes paroles à qui vous voudrez. J’ajoute que je n’admettrai plus jamais de me trouver dans le même lieu que vous.

Outré, le colonel Turc se dirigea vers la porte et, sans saluer, quitta la réception à grands pas claquants, laissant le consul médusé.

Cela initia le départ de tous les hôtes.

***

Ciel au-dessus d’Istanbul, Turquie
Matin du mardi 3 août 1965

Le DC-8 pivota gracieusement sur la droite et SAS aperçut la Mosquée du Sultan Ahmet brillant dans le soleil couchant. A côté d’elle, Yavuz se tordait le cou pour apercevoir Istanbul.

— Au travail, fit Ada gaiement.

Elle déplia un plan sur ses genoux. C’était le futur grand salon du château de Son Altesse Sérénissime von Schönenwald-Ottingen.

— Durukan, je peux vous appeler Durukan n’est-ce pas ? et continua sans attendre de réponse, si je réussis encore quelques affaires, vous serez le factotum du plus beau château d’Autriche. En attendant, il faut que vous mettiez la main à la pâte. Voici les travaux à effectuer ces trois prochains mois.

Yavuz se força à sourire : il n’avait jamais aimé les vieilles pierres et préférait le ciment bien plus commode à manipuler – et tellement pratique pour y dissimuler des corps – mais il faut bien vivre.

Un ange passa en sifflotant, avec une pelle sur l’épaule.

 

Ada regarda vers l’arrière de la cabine et salua les J&Bs, assis au fond dans la zone fumeur, qui eux rentraient au pays. Son regard s’arrêta au retour sur un passager assis dans la rangée droite, elle eut un petit pincement au cœur. Il ressemblait à son magicien, Sifiye Elmasry. Sifiye qu’elle n’avait pas prévenu de son départ. Elle savait, elle, qu’elle ne le reverrait plus, et avait toujours du mal à affronter les au-revoirs et à… jamais.

FIN

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